C’est le retour de « Chat Control ». Ces derniers jours, le débat sur la proposition de règlement européen pour mieux contrer les contenus pédopornographiques est revenu sur le devant de la scène politique dans l’UE. Un objectif légitime, mais cela doit-il se faire en sacrifiant la vie privée, le secret des correspondances et le chiffrement de bout en bout ? C’est toute la tension autour de ce texte, alors qu’un moment décisif approche. Un vote est attendu pour bientôt.
C’est le retour d’une actualité que beaucoup de défenseurs de la vie privée craignaient. Depuis le début du mois d’octobre, on entend beaucoup reparler d’un projet surnommé « Chat Control » dans l’Union européenne, non sans raison. En effet, il s’avère que cette initiative — qui est en fait une proposition de règlement européen — est à la veille d’un vote important, qui déterminera grandement son avenir.
Comme le pointait La Quadrature du Net le 3 octobre dernier, le Conseil de l’UE (qui regroupe les gouvernements des États membres) doit voter le 14 octobre sur cette proposition de règlement visant à prévenir et combattre les abus sexuels sur enfants (Child Sexual Abuse Material, CSAM). En clair, les contenus pédopornographiques circulant sur les terminaux. L’enjeu étant de les détecter, signaler et bloquer.
Or, ce vote doit servir à pousser les États membres à prendre position sur ce texte. En la matière, le continent européen apparaît encore très divisé. Parmi les pays en faveur de la proposition de règlement, on en trouve 12 (dont la France, l’Espagne, le Danemark et l’Irlande). 8 sont opposés (dont les Pays-bas, la Finlande, la Pologne et l’Autriche) et 7 demeurent indécis (dont l’Italie, l’Allemagne, la Suède, la Belgique et la Grèce).
Crainte d’un revirement allemand sur Chat Control
Cependant, l’Allemagne semble en phase de réévaluation de sa position et d’aucuns craignent que ce pays, central dans l’Union européenne, ne finisse par basculer dans le camp des soutiens. Cela explique les récentes prises de position publiques s’alarmant d’un revirement allemand, à l’image de Signal, une application de messagerie instantanée qui serait soumise aux exigences du règlement européen s’il passait.
Votre vie privée doit rester privée.
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« Nous sommes alarmés par les informations selon lesquelles l’Allemagne serait sur le point de faire volte-face, renonçant à son opposition de longue date et de principe à la proposition de l’UE relative au contrôle des chats qui, si elle était adoptée, pourrait signifier la fin du droit à la vie privée en Europe », écrivait Signal sur X (ex-Twitter) le 3 octobre, en pointant par ailleurs un lien vers une lettre ouverte de sa patronne, Meredith Whittaker.


Dans un tweet le 6 octobre, l’intéressée a réitéré l’avertissement : « L’Allemagne est sur le point de revenir sur son opposition de principe à la surveillance de masse et à l’analyse des messages privés, et de soutenir le projet de loi sur le contrôle des tchats ». Un texte, s’il passait en l’état, « pourrait signifier la fin des communications privées dans l’UE », a-t-elle ajouté. Et dans ce cas, cela serait aussi la fin de Signal dans l’Union.
Ce n’est pas la première fois que la patronne de l’application mobile laisse entendre que Signal pourrait quitter les pays qui remettent en cause le secret des correspondances et le chiffrement de bout en bout, qui est au cœur de Signal et d’autres messageries, comme WhatsApp. Ce procédé technique vise à garantir la sécurité et la confidentialité des conversations grâce à des opérations mathématiques, qui empêchent des tiers de les lire.
Un texte remanié au fil des ans, mais qui ne convainc toujours pas
Le débat sur le Chat Control — nom qui est en fait donné par les détracteurs du texte, pour expliciter selon eux ce que le règlement va causer : un contrôle des discussions — n’est pas non plus nouveau. Initialement proposé en 2022 par la Commission européenne, le texte avait connu une péripétie importante en juin 2024 : un vote du Conseil de l’UE avait été ajourné, faute de majorité. Un succès pour les opposants.
Une bataille de gagnée, mais pas la guerre. Depuis lors, la proposition de règlement a évolué pour essayer de mieux prendre en compte les critiques, sans perdre de vue son objectif final : la lutte contre la pédopornographie. Mais les plus récentes versions du texte, même retravaillées et amendées, ne satisfont pas les détracteurs. On entend ainsi plutôt parler de « Chat Control 2.0 » que d’autre chose.
Preuve en est avec Will Cathcart, le patron de WhatsApp chez Meta, qui a dit le 3 octobre : « La dernière proposition de la présidence de l’UE continue de compromettre le chiffrement de bout en bout, mettant en péril la vie privée et la sécurité de tous — un avis partagé par des experts de plus de 30 pays. Nous continuons d’exhorter les pays de l’UE à défendre une sécurité renforcée pour leurs citoyens et à rejeter cette proposition. »


Et dans un second tweet, sorti le 7 octobre, d’ajouter : « La proposition actuelle de la présidence de l’UE, qui a fuité aujourd’hui, supprimerait le chiffrement de bout en bout tel que nous le connaissons, ce qui compromettrait gravement la vie privée des citoyens. Nous exhortons toutes les personnes travaillant sur cette question à rejeter la dernière proposition et à défendre la vie privée des citoyens. »
Comme Signal, WhatsApp serait en première ligne du règlement s’il était adopté dans l’Union européenne. Il reste cependant à voir la maison mère de WhatsApp retirerait l’application dans l’UE ou accepterait de mettre en place les dispositions consistant à scanner les communications privées, y compris chiffrées, sur les appareils des utilisateurs, avant envoi. Avec les risques d’affaiblissement de la sécurité et de confidentialité qui vont avec.
L’opposition au texte est compliquée, en raison des buts légitimes que celui-ci poursuit : la lutte contre les abus sexuels sur les enfants. Mais ce motif, aussi impérieux et nécessaire soit-il, doit-il enjamber toutes les autres libertés fondamentales, y compris le droit à la vie privée et le droit au secret des correspondances ? C’est toute la problématique centrale du texte : la fin justifie-t-elle tous les moyens ?

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